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Vers de nouvelles configurations des histoires constitutionnelles, du national au global ?



En se tournant vers les discours doctrinaux, la recherche a pour but de mettre en rapport les questionnements des historiens du constitutionnalisme (1) avec les thèses (en apparence « classiques ») qui continuent à être présentées dans les manuels de droit constitutionnel (2) pour réfléchir à une méthodologie de l’histoire constitutionnelle entretenant un vrai dialogue entre juristes et historiens, passant de perspectives nationales à des analyses globales (3). Trois étapes seraient suivies :

Quels renouveaux des histoires constitutionnelles ?


Un état des lieux du renouvellement de l’histoire constitutionnelle dans plusieurs pays et des problématiques qui pourraient être communes à ces démarches critiques, parfois iconoclastes.

L’hypothèse part d’un constat : la multiplication de publications innovantes sur l’histoire de la constitution américaine (Amar 2000 et 2006, Clavero 2007, Boudon 2010), de l’écriture la « constitution d’Angleterre » (Hennessy 1996, Baranger 2008), des concepts du droit public en Allemagne (Stolleis 1988, 1992 et 1999, Grimm et Mohnhaupt 2002, Hummel 2002, Kiesow sur la dictature 2002, Baumert pour une comparaison franco-allemande 2009), du droit constitutionnel espagnol (Garriga 2010) et, en France, la floraison des thèses sur ce terrain (depuis la thèse fondatrice de Michel Troper en 1973, celles de Verpeaux 1987, Redor 1992, Beaud 1994, Saint-Bonnet 2001, Sacriste 2002, Laquiéze 2002, Bougrab 2002, Pinon 2003, Maulin 2003, Brunet 2004, Le Pillouer 2005, Vergne 2006), les colloques et ouvrages sur les constitutions révolutionnaires (Dijon 1992, 1997, Conac 1999, Troper 2006), les travaux de Jean-Louis Mestre (1993, 1995) et Éric Gojosso (2002) sur les origines du contrôle de constitutionnalité en France, le dernier numéro des Cahiers du conseil constitutionnel (2010)…

Il s’agira, après un recensement complet de ces travaux, de faire l’analyse de ce qui pourrait être un « mouvement doctrinal de fond » : qui écrit sur ces sujets (des constitutionnalistes, des historiens ?), dans le cadre de quelle « stratégie » universitaire, éditoriale et « politique » (en faisant le lien avec le droit actuel), les thèmes sont-ils comparables d’un pays à l’autre, quel peut-être l’impact prévisible de ces travaux ?


Des tensions avec la doxa constitutionnelle des manuels ?

Une deuxième étape part précisément de l’hypothèse de tensions entre ces travaux et une certaine doxa constitutionnelle que l’on retrouve notamment dans les manuels destinés à l’enseignement.
Les manuels de droit constitutionnel, sur le thème du contrôle de constitutionnalité des lois, montrent que le discours professoral se construit comme un discours de progrès – de l’État de droit – en allant du « moins bien » vers le « meilleur » : du « légicentrisme » au « constitutionnalisme ». Ce discours sur le progrès de l’État de droit présente tout d’abord la caractéristique d’être construit sous la forme d’une narration : ce récit est en effet construit comme toute fiction littéraire à partir d’un premier état initial dit d’équilibre où la loi défend les droits et libertés en 1789, auquel fait place un deuxième état de perturbation de l’équilibre, où la loi ne défend plus les droits et libertés sous l’effet de la toute-puissance du politique, qui conduit à un troisième état, celui d’un retour initial à l’équilibre antérieur, mais par l’effet d’une force exercée en sens contraire : par l’introduction du contrôle de la loi. Cette « transformation » est décrite par la doctrine comme un progrès, qui implique toujours l’accomplissement d’une promesse première : la pacification du politique par le droit. Mais en terminant son récit sur le contrôle de constitutionnalité de la loi, il faut montrer que ce discours est davantage enclin à la nécessité des vérités anhistoriques. Ce faisant, le professeur court-circuite d’emblée la marche même qu’il assignait à la Raison du droit dans son récit. Ce discours ne peut pas être lu finalement comme une articulation qui va du « moins bien » vers le « meilleur ». Il est au contraire construit de façon rétrograde. Sa fin en conditionne l’ouverture : c’est la nécessité du contrôle de la loi qui induit un discours sur la toute-puissance de la loi et du politique. Le lecteur, face à ce récit, ne fait donc pas l’expérience d’un accomplissement de l’histoire qui se fait sous ses yeux, mais d’un dessaisissement. Le discours doctrinal devient en effet écriture d’un mythe, ce qu’il conviendrait précisément d’analyser.
Dans le cas de la France, si Jean-Louis Mestre a participé, pour un chapitre d’histoire du droit constitutionnel, au manuel de Droit constitutionnel dirigé par Louis Favoreu (1re éd. 1998), il nous semble qu’un grand nombre d’ouvrages didactiques (y compris des histoires du droit constitutionnel) sont moins ouverts, voire totalement réfractaires, aux nouvelles approches historiques et continuent à entretenir une sorte d’« Histoire sainte ». Il n’est pas impossible que la récente publication d’une sélection des délibérations du Conseil constitutionnel (Mathieu et alii, 2009, après l’ouverture de ses archives au bout d’un délai de 25 ans) et de livres d’anciens membres de cette constitution (Schnapper 2010, Joxe 2010) contribuent à cette vision « évolutionniste » et lénifiante de la jurisprudence constitutionnelle. Au même moment, d’autres lectures « politiques » du contrôle de constitutionnalité mettent en cause une vision trop étroitement juridique (Shapiro-Sweet 2002, Beaud 2010). L’enquête procédera donc, pour valider ou invalider cette hypothèse de tension, à une étude systématique des manuels et ouvrages des constitutionnalistes français en les comparant avec la littérature didactique de quelques pays étrangers (notamment les ouvrages réalisés après 50 ans d’exercice de la justice constitutionnelle au Japon, en Italie ou en Inde : Higuchi 2001, Bonini 1996, Labruna 2006, Kirpal et alii 2004).

Est-il pertinent d’aller vers une histoire constitutionnelle globale ?

La troisième étape sera consacrée à des recherches coordonnées sur un objet que l’on pourrait appeler « histoire constitutionnelle globale » (à distinguer du droit constitutionnel comparé : Jackson/Tushnet 1999 ; Dorsen/Rosenfeld/Sajo/Baer 2003 ; Ponthoreau 2010), tenant compte, spécialement pour la justice constitutionnelle, des cultures juridiques (rapports des modalités de la justice constitutionnelle avec le common law et le légicentrisme des pays de droit civil), des transferts de droit liés au colonialisme (Samaddar 2007), de l’influence des modèles américains ou européens (Henkin, Rosenthal 1990) et de la mondialisation actuelle des jurisprudences. Cette histoire constitutionnelle globale a également pour objectif l’élaboration de nouveaux modèles, ou idéal-types, en matière de justice constitutionnelle (Tushnet 2003b, Ginsburg 2003, Maulin 2008) ou de classification des régimes politiques (Le Pillouer 2004). En réalisant de nouveaux travaux sur la France, sur l’Europe (le « patrimoine constitutionnel commun » des pays de l’Union à la suite des travaux historiques de Manca/Brauneder 2000, Brandt/Kirsch 2006), sur l’Inde (Mesmin Saint-Hubert), le Japon (avec le professeur Yasuo Hasebe) et quelques pays d’Amérique latine (Mexique, Colombie, Argentine, Chili, dont l’intérêt pour l’histoire de la justice constitutionnelle a été mis en valeur par Miller 1997, Mirow 2007), la recherche aura pour but l’élaboration d’un ouvrage collectif sur ces nouvelles pistes en direction d’une histoire constitutionnelle globale (qui ne signifie pas la négation des spécificités nationales) et les apports de la méthode historique pour la compréhension des phénomènes constitutionnels actuels (questions liés à la citoyenneté, aux statuts personnels, au droit pénal, aux droits fondamentaux et aux lois françaises susceptibles d’être remises en cause par la QPC).