Retour à l'accueil Retour à l'accueil Voir le site Web de l'ANR

Ambivalence du terme néo-constitutionnalisme


 Cette impression d’un tournant dans la période 1990-2010 explique le recours à l’expression « néo-constitutionnalismes », que nous utilisons ici dans un sens commun, pour qualifier les discours cherchant simplement à rendre compte de ce renouvellement des phénomènes constitutionnels. Il ne s’agit pas, pour nous, de nous rallier à une acception plus étroite de cette expression, revendiquée par un seul courant de pensée. Toutefois, il nous paraît important d’évoquer, dans l’état de l’art, certains positionnements qui ont cherché à mettre la main sur cette appellation.

Le courant que l’on désigne le plus couramment aujourd’hui du nom de « néoconstitutionnalisme » – et dont les chefs de file sont Robert Alexy, Ronald Dworkin, Luigi Ferrajoli, Carlos S. Nino, Gustavo Zagrebelsky – entend défendre des thèses qui articulent plusieurs niveaux de discours. D’une part, le néoconstitutionnalisme se présente comme une théorie du droit qui prendrait acte de ce que l’ordre juridique contemporain a connu de profonds bouleversements du fait de l’introduction et de la généralisation de catalogues de droits dans les constitutions des États modernes. La présence de ces catalogues, qui font explicitement ou implicitement référence à des valeurs, conduit à penser le droit dans le prolongement de ces valeurs.

Dans ces conditions, le droit ne peut plus être défini comme un ensemble clos et complet de normes elles-mêmes pensées sous la forme de prescriptions assorties de sanction (R. Dworkin 1977). Si le droit contient certes des règles qui peuvent prendre la forme syntaxique d’une proposition du type « si A, alors B doit être », il contient également des « principes » lesquels ne prennent jamais la forme d’une prescription assortie de sanction mais doivent être concrétisés et dont la valeur doit elle-même être pondérée selon le cas auquel ils s’appliquent. Certains n’hésitent pas à parler d’un « ensemble de principes qui renvoient et reçoivent un droit matériel pré-positif » (G. Zagrebelsky 2008). Ce courant, qui trouve son origine dans la théorie du droit anglo-saxonne et européenne, est aujourd’hui très largement diffusé en Amérique latine où, depuis quelques années, de nombreux travaux lui sont consacrés (Miguel Carbonell (dir.), 2007 ; 2009 ; Carlos Bernal Pulido 2005 et 2009 ; Daniel Bonilla y Manuel Iturralde (dirs,), 2005 ; Luis Roberto Barroso,  2008 ; Roberto Gargarella (dir.), 2008 ; 2009 ; Miguel Carbonell - Leonardo García Jaramillo (eds), 2010).

On doit aussi évoquer les travaux de constitutionnalistes américains, tels Bruce Ackerman (1998a, 1998b et 2010) et Mark Tushnet. Si ce dernier parle certes d’un nouvel ordre constitutionnel (Tushnet 2003), il propose une sociologie descriptive qui cherche à relier la doctrine constitutionnelle aux divers modes de fonctionnement des institutions politiques contemporaines. Le concept d’ordre constitutionnel que propose Tushnet s’entend en opposition aux tendances réductionnistes des autres constitutionnalistes qui ne s’attachent qu’aux cours constitutionnelles et à leurs interprétations. Ainsi, parler d’ordre constitutionnel est un moyen de réintégrer le discours des cours constitutionnelles dans la description globale du système politique des institutions américaines. En d’autres termes, l’analyse d’un nouvel ordre constitutionnel procède d’une démarche fortement inspirée par la sociologie politique et non pas par la théorie du droit.

Le projet proposé entend non seulement soumettre ces courants à une analyse critique, mais aussi rendre compte le plus complètement possible des renouvellements des discours, des objets et des pratiques du constitutionnalisme dans la période la plus contemporaine (1990-2010). Dans cette recherche ayant en vue de répondre à la question « quid novi ? », l’expression « néo-constitutionalismes » sera prise dans son sens le plus large et le plus neutre, dans le cadre d’une démarche purement heuristique.